Ils lisent San-Antonio

Ils lisent San-Antonio

Lettre d'un lecteur

Bonjour à tous,

J'ai reçu cette lettre ce matin, je voudrais la partager avec vous :

 

 

  Voilà quarante cinq ans que - comme beaucoup -  votre papa me tient compagnie.

  Je fais vraiment sa connaissance - et il me sauve alors la mise- quand, lors de ma première année d'internat, suite à une séance de bizutage, j'écope d'une dissertation dont le sujet est de décrire une nuit de noces, avec les détails. Ces quatrième année savent à qui ils s'adressent: j'ai quatorze ans,  jeune normalien, je vais devoir me creuser le chou et ramer pour trouver des tuyaux auprès de gens expérimentés...Il y a bien mon frère mais... trop âgé, un vieux de 22 ans,..! Impossible. Curieusement il lisait San Antonio. J'en avais vu quelques couvertures aussi alléchantes que gourdonnesques dans son armoire, sous les pyjamas, mais par crainte de ses foudres musclées, je n'en avais jamais commencé une lecture.

 

  Dans mon désarroi je me tourne donc vers mes "père et grand-père de promotion", ainsi baptisés car ils sont arrivés au même rang que moi au concours d' entrée, le père en 2è année, le grand père en 3è année.  Leur rôle, un peu tuteur, un peu protecteur - si tant est qu'ils en aient le vouloir et la capacité - à une  époque ou le bizutage est à son apogée, est en fait très limité. Mais avec eux je suis plutôt dans les mieux lotis.

 

  Ils ont chacun un surnom et quel surnom! Mon père est  San-Antonio et mon grand père P'tit Béru, ça ne s'invente pas!

 

  C'est donc sur leurs conseils, pour trouver l' inspiration, que je passe une bonne partie de nuit- blanche- enfoui sous mes draps -à la lueur de ma pile -à lire voluptueusement mon premier San Antonio: LE STANDINGE! Un dépucelage littéraire qui va m'ouvrir des horizons, m'aider à combler mon retard avec mes codétenus plus âgés et plus tard m'emmener loin et rêver et rigoler et penser et me panser et m'évader.

 

  Ma "dissertation" est fraîchement accueillie car elle ne surprend pas les vieux briscards du jury qui reconnaissent immédiatement la patte de Celui qui m'a servi de muse, mais ma bonne volonté à tenter de décrypter la toupie japonaise ou les trois lanciers du bengale m'a finalement sauvé.

Merci et bienvenue Monsieur San-Antonio -et plus tard  Monsieur Dard- pour le meilleur et pour le pire et pour la vie.

 

  La passion ne me quitta jamais et fut certainement semblable à celle de beaucoup d'autres, toujours dans l'attente du dernier paru puis dans la joie de découvrir une édition ancienne au détour d'une brocante occasionnelle puis plus tard dans la fouille de la maison pour regrouper tous ces bouquins que je savais avoir quelque part, la déception de se remémorer qu'un carton avait été perdu lors d'un déménagement, la fureur d' apprendre - vingt ans après quand même - qu'un copain, perdu de vue et retrouvé par téléphone, avait jeté un autre carton de bouquins, prêté quand il s'était cassé la jambe, puis la lente reconquête, la longue marche du collectionneur, les brocantes systématiques et les rencontres afférentes, les échanges d'informations dont entr-autres celle-ci et pas la moindre : Frédéric Dard avait écrit quelque chose pour sa fille: Les stances à Joséphine. Je ne me rappelle malheureusement ni des circonstances, ni de la date. Ce dont je suis sûr c'est de l'intitulé et que j'ai lu cette information. 

  Je gardai celà en moi longtemps, surpris d'apprendre par la suite que ce document portait le nom de Lamento, une ode intime. J'appris aussi plus tard que ce Lamento avait été tiré à cent exemplaires. Son apparition aux enchères sur internet fut pour moi un crève-coeur et me sembla un vrai sacrilège.

 

Mais il y a autre chose : 

 

  Voici quelques mois un brocanteur me dit avoir eu entre les mains, une édition très abîmée de "Bérurier au sérail" qui n'était pas ordinaire... De l'orange sur la couverture  et un format inhabituel . Je pensai immédiatement à l'édition tirée par Total, mais non, c'était un "gros"! Il en avait noté quelques indications avant de s'en débarasser. Nanti de ces informations: le nom de l'illustrateur - inconnu - et une liste de dédicataires, piqué par la curiosité, j'entreprends donc ma petite enquête pour retrouver ce mouton à cinq pattes.
   Une édition non répertoriée??? Difficilement croyable. Passer au travers des Bouquin, Kauffmann et autres acharnés, amateurs ou Amis de San-Antonio? Impossible. Des textes, à la rigueur, mais un livre entier!!!? Je n'osais pas le croire.

  Téléphone et Internet aidant, je mène donc une véritable petite enquête, durant de longues semaines, dans toute la france et même dans les DOM-TOM  où enfin je tiens LA piste, la bonne, du surchoix: Certainement les parents de l'illustrateur, leurs prénoms donnés sur la messagerie de leur répondeur concordent avec mes informations. D'autres détails vont dans ce sens. Je ne doute plus d'arriver au but . Vont-ils se manifester ?

  Trois longs jours plus tard, l' inattendu arrive. J' ai au bout du fil celui qui va tout m'expliquer; enfin...L'illustrateur en personne!
  L'émotion est grande quand ce Monsieur me dit être celui que je cherche depuis des semaines.
  L'explication vient rapidement.
  Comme Magritte nous l'avait exprimé par son " Ceci n'est pas une pipe", eh bien on peut dire de ce mystérieux tirage :
  Ce livre n'est pas un livre. 
   
  C'est un objet d'art, le chef d'oeuvre -au sens premier du terme et toutes proportions gardées - d'un étudiant aux arts décoratifs de Paris, corroborant ses études et permettant l'attribution de son  diplôme.
 
  Le support de cet objet? Le texte de Bérurier au sérail. Tout simplement. 
  Celui que je prenais pour l'illustrateur d'un San-Antonio devient  l' AUTEUR d'une oeuvre, via Frédéric Dard, l' éditeur redevient un imprimeur.
  Ce n'est plus du tout  une "édition" inconnue, c'est un hommage à San Antonio et aussi un pied de nez à l' intelligentsia des arts déco, une combinaison d'arts populaires, le "livre de gare" distingué!
  L'auteur a donc revisité la présentation du texte -changeant le format-et a illustré chaque chapître ,la couverture et chaque page.  

Par ailleurs J'aimerais envoyer un article à ce sujet à l'association des Amis de San Antonio. Pour celà je voudrais, avant tout, avoir votre

Je vous salue affectueusement, ainsi que messieurs Guy Carlier, Patrice Dard et tout "le Clan".

 

Christian 



01/02/2012
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